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LIEUX DE DRAGUE 

 

Présentation du travail de thèse, hébergé au Laboratoire de l’école d’Architecture de Versailles LEAV - sous la direction d’Eric Chauvier, professeur en anthropologie. 

 

« Des pratiques sexuelles dans l’espace public: refoulement, impensé, créativité. » 

 

Je me concentre pour le moment principalement sur les lieux de drague masculine, ce sont des lieux extérieurs, issus du détournement plus ou moins total d’un parking, d’une forêt, d’une plage, d’une aire de repos, de WC, (...) . Ils sont ainsi plus de 1600 lieux en France. Ils se situent en entrée de ville, dans les zones hybrides entre ruralité et péri-urbain, dans les zones de friche ou aux abords des grands axes routiers. L’ensemble de ces lieux ayant pour point commun d’être souvent délaissés, marqués par le commerce du péri-urbain et par les logiques de rationalisation des flux routiers. 

Les personnes qui fréquentent ces lieux sont rarement homosexuelles, ce sont des hommes à la recherche d’expériences « alternatives », qui viennent avant tout pour faire des rencontres, mais aussi pour soulager des envies sexuelles, pour réaliser un fantasme ou pour accéder à des formes de relations sociales inattendues. Ils sont souvent mariés, parfois pères de famille, ils proviennent de tous les milieux sociaux, de 14 ans à 90 ans. 

Trois axes structurent l’ensemble de ma démarche, ils forment ensemble le moteur du désir de ces travaux. On les retrouve dans le titre de ma thèse, Refoulement, Impensé, Créativité. Trois portes d’entrée pour 

explorer une partie des questions que soulèvent les lieux de drague. Cette trilogie se retrouve également dans ma démarche plastique, entre relever, éprouver et raconter. J’y reviendrais tout au long de la présentation de mes travaux. 

 

La première des hypothèses, moteur de ce travail de recherche et de ces pratiques plastiques, est de considérer ces lieux comme des indispensables à une forme de cohésion sociale. Ils permettent de créer des lieux de concentration et de décharge de la libido. A la fois fustigés et hyper-fréquentés, ils font figure de lieux d’équilibre, comme une part maudite des centres urbains et pourtant indispensable, lieux de consummation. 

La deuxième entrée se concentre sur l'expérience de liberté que proposent ces lieux, à la fois comme une antinomie à un certain conservatisme puritain ou comme une échappatoire à la plus banale des routines. Ce sont de véritables lieux de rencontre, au sens baudelairien du mot, des rencontres parfois dangereuses, parfois odorantes, parfois bestiales, qui suscitent en même temps la peur et l’excitation. Tout est fait dans le champ de l’urbanité pour molletonner ces rencontres hasardeuses, alors qu’elles sont ici permises. 

 

De l’observation de ces rencontres s’ouvre un champ de recherche axé sur le corps, sur le langage non verbal, sur les stratégies complexes mises en œuvre dans certains contextes pour montrer le pourquoi de sa présence sans se trahir auprès des autres personnes présentes. C’est également des recherches sur la monstration du corps, parfois déguisé, parfois travesti ou bien même nu. On observe par cette entrée le détournement de certains codes, vestimentaires notamment qui permettent de mettre en place des stratégies de camouflage. C’est s’interroger sur l’organisation du carnaval. L’habit étant la forme la plus primaire de l’habité, cette entrée m’intéresse beaucoup. 

 

Enfin, le dernier axe s’intéresse à la question de la créativité qui se manifeste sous diverses formes qui ont toutes pour point commun d’être en réponse à la relégation de ces pratiques. Cette dimension créative est éminemment présente dans les deux premiers axes notamment quand on s’intéresse aux diverses stratégies mises en place, aux costumes ou aux chorégraphies . 

Par cette troisième entrée, je me concentre sur la notion de fiction, sur ces histoires qui sont proposées, celles qui sont racontées dans les lieux de drague. On les retrouve dans les petites annonces déposées en amont sur des sites spécialisés, dans les paroles recueillies, au travers des stratégies de préservation de l’anonymat ou bien directement écrites, gravées, sur les murs ou sur le mobilier urbain à disposition. Ces fictions sont également observables à l’extérieur des lieux de drague, dans la construction des représentations, des stigmatisations parfois et dans les légendes qui tiennent les curieux à l’écart. 

 

Cette créativité se retrouve également dans les architectures qui sont proposées, par le détournement de structures existantes ( WC, tables de pique-nique) mais également par la construction de cabanes ou d’espaces plus ou moins aménagés, des espaces projetés, par les parcours dessinés dans les bosquets et les diverses organisations spatiales qui en résultent. 

Ce sont des lieux opposés à l’aseptisation ce qui pourrait expliquer ce foisonnement de formes de création qui font de ces lieux une forme d’urbanité à part entière. Ce qui est d'autant plus intéressant étant situé loin des centres urbains, en périphérie, dans des espaces de marge, parfois interlopes, parfois ruraux. L'hypothèse pourrait également être que ces lieux offrent un droit à la beauté. Les standards physiques sont souvent mis de côté, l’attachement à la préservation du lieu est récurrent dans les discours, ce sont des lieux beaux dans des aires urbaines souvent délaissées, ou aucun soin n’est apporté, stigmatisées, moches. 

 

Dans un contexte où les préoccupations environnementales semblent impératives, ces pratiques nous apprennent également, notamment à nous autres architectes, ce qu’est un rapport à la nature. Loin du Green-washing et loin d’une vision simplement par la matérialité des choses, la nature est ici tactile, odorante, mouillée, parfois dangereuse, bestiale, empreinte de désirs et d’imaginaires.. L’homme est parfois une proie, parfois un chasseur, conscient de sa libido et de ses désirs. Pour le dire plus prosaïquement, ce « retour à la nature » serait avant tout de prendre conscience de notre part sauvage.

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